Écrire un arrangement musical
Que fait un arrangeur ?
La question peut sembler triviale, mais elle est toutefois sujette à interprétation, selon la personne qui commande, celle qui arrange, celle qui interprète… Chacun a sa façon de voir les choses, en fonction de ce qu'il attend en terme de style, de difficulté, de temps. La question du style, en particulier, est importante :
- un arrangeur de chanson est généralement un orchestrateur, qui crée une orchestration sur une chanson dont il n'a bien souvent que les accords et la mélodie
- un arrangeur de jazz orchestre pour des sections cuivres, crée des breaks rythmiques innovants
- un arrangeur classique utilise le matériau sonore d'une œuvre existante, et la transforme pour une autre formation musicale
- un arrangeur peut faire tout cela à la fois !
L'arrangement en tant que tel existe depuis fort longtemps. Lors de la période baroque (1600-1750), certains compositeurs usaient souvent du procédé dit de parodie : ils reprenaient des extraits d'œuvres antérieures, les réorchestraient, y rajoutaient des phrases, les modifiaient et les modulaient pour créer quelque chose de nouveau. Loin de constituer un simple plagiat, la parodie était aussi un moyen pour les compositeurs de donner à réentendre des œuvres dont ils étaient satisfaits, et qui n'auraient sans cela plus jamais été rejouées. Jean-Sébastien Bach, par exemple, fut un grand utilisateur de ce procédé malgré sa production fleuve : à Leipzig, il devait composer une cantate chaque semaine, et celle-ci, une fois jouée, n'était que très rarement ressortie des tiroirs du Cantor.
Comment arranger ?
Il ne s'agit pas ici de donner des cours, bien sûr, mais plutôt d'évoquer le but dans lequel on doit arranger une pièce. Pour ce faire, plusieurs paramètres me paraissent importants.
- Arranger pour qui : professionnels, amateurs, élèves ?
- Arranger pour quoi : quelle formation musicale ?
- Arranger comment : quelle latitude ai-je pour modifier l'œuvre originale ?
Chacune de ces questions amène des contraintes et des libertés bien particulières, qu'il convient d'embrasser pleinement pour produire un travail qui satisfera les interprètes par la suite.
Arranger pour qui ?
Les trois grandes catégories de personnes susceptibles de jouer des arrangements sont les professionnels, les amateurs et les élèves. Ces différents interprètes peuvent en outre parfois se mélanger, et la limite entre l'un et l'autre peut également se révéler ténue (il n'est pas rare d'avoir à faire à des amateurs d'un grand professionnalisme !). Mais d'une manière générale, je m'astreins à quelques principes solidement ancrés lorsque j'écris à destination de ces personnes :
- Les professionnels : à moins d'avoir des consignes précises à ce sujet, je ne m'impose que peu de limites techniques pour ce que j'écris. Les professionnels ont une maîtrise de leur instrument leur permettant de surmonter des défis importants, et sont parfois avides de ces challenges face à leur instrument ! Cela est notamment vrai pour des formations de musique de chambre, qui mettent plus volontiers en avant des rôles de solistes que dans un orchestre philharmonique ou symphonique.
- Les amateurs : comme précisé plus haut, le terme "amateur" est délicat. De nombreux amateurs ne le sont que parce qu'ils ne vivent pas de leur art, et font preuve d'un grand professionnalisme non seulement technique, mais aussi humain, dès lors qu'il s'agit de jouer de la musique. Quoiqu'il en soit, lorsque j'ai affaire à cette catégorie de musicien, je pose beaucoup de questions pour faire en sorte que le défi technique soit toujours adapté au niveau instrumental de chacun. Qui plus est, je fais en sorte que chacun ait suffisamment à jouer pour éprouver du plaisir, et sans devoir compter d'interminables mesures de silence (j'aurai par exemple un peu moins de scrupules sur ce point pour des musiciens professionnels, qui sont a priori payés même s'ils comptent des mesures).
- Les élèves : en tant qu'enseignant, les œuvres à vocation pédagogique ont une place toute particulière dans mon cœur. Elles font partie de ces pièces à mon sens les plus délicates à écrire : il faut sans cesse mettre en balance l'intérêt pédagogique et la musicalité, pour produire une pièce plaisante, qui suscitera chez l'élève l'envie de travailler. Pour ce faire, si je ne maîtrise pas assez les contraintes de l'instrument pour lequel j'écris, je bombarde mes camarades instrumentistes de questions pour obtenir des réponses satisfaisantes et parvenir à l'objectif !
Les formations musicales pour lesquelles arranger
Retranscrire la richesse d'une œuvre en l'adaptant à une instrumentation différente n'est pas toujours chose aisée. Il faut parfois, hélas, sacrifier des éléments sonores intéressants, ce qui peut se révéler un véritable crève-cœur ! De nombreux cas de figure peuvent se présenter, parmi lesquels (liste non exhaustive) :
- Réduire le nombre de voix d'une œuvre : nécessite le sacrifice de certaines notes, la simplification d'une harmonie pourtant délicieuse…
- Modifier les registres de jeu : ne plus disposer d'un ambitus suffisant pour rendre fidèlement le registre original, devoir restreindre ses possibilités
- Supprimer des strates sonores : contrechants, contre-voix, réponses ou discours impossibles à placer dans l'arrangement par manque d'effectifs ou de possibilités techniques d'un instrument.
- Modifier ou adapter la prosodie : dans le cas de la musique chantée, la prosodie peut se révéler un défi assez délicat, en particulier lors des arrangements d'ensembles vocaux ! Il faut alors ne pas travestir le sens des paroles, sans devoir rajouter des notes inutiles.
Pour toutes ces raisons, plus la formation instrumentale est réduite, plus l'arrangement se révèle délicat à écrire !
Quelles libertés pour l'arrangeur ?
L'arrangement n'est à mon sens pas une simple adaptation, mais se doit, tant que possible, d'apporter quelque chose d'autre à l'œuvre originale : une nouveauté, un esprit différent, quelque supplément d'âme qui fait que l'arrangement acquiert un intérêt particulier pour l'auditeur et l'interprète.
Cela peut se faire de différentes façons :
- en modifiant le style ou le caractère initial de la pièce (changement de métrique, d'esthétique musicale…), avec plus ou moins de subtilité
- en y ajoutant des citations musicales extérieures, des clins d'œil
- si la formation instrumentale le permet, en rajoutant des contrechants, des strates sonores, en modifiant ou enrichissant l'harmonie (sans toutefois dénaturer l'œuvre)
- et quelques autres astuces dont je garde la primeur 😎
Il faut également parfois rester le plus fidèle possible :
- à la demande de l'interprète
- lorsque l'adaptation ne souffre d'aucune marge
- pour des jeunes élèves qui pourraient être désorientés par un résultat trop lointain de ce qu'ils attendent
Dernière mise à jour de cette page : 09/07/2021