Note : cette anecdote provient des « Souvenirs de Madame de Créquy », une femme de lettre née en 1714 et morte en 1803. Précisons toutefois que tout cette histoire est extrêmement controversée (en Angleterre notamment), et est à prendre avec des pincettes. Les batailles d'historiens ont semble-t-il fait rage pour prouver l'ineptie ou la vraisemblance de l'affaire (sources à l'appui), tant et si bien qu'il est difficile de discerner le vrai du faux au milieu de la mauvaise foi de l'une et l'autre partie…
Les fesses de Louis XIV
1686 : Louis XIV gouverne le très puissant royaume de France depuis déjà plus de 25 ans, et s'emploie à centraliser toujours plus le pouvoir, à tenir en laisse les grands seigneurs, et à réduire le rôle et l'influence des différents Parlements régionaux. L'année précédente, il a révoqué l'Edit de Nantes signé par son grand père Henri IV en 1598, ce qui a provoqué un exode massif et une chasse au protestant dans tout le royaume.
Mais ce ne sont pas ces considérations politiques qui préoccupent le roi soleil à cet instant précis : il souffre d'une très désagréable, très incommodante et très douloureuse fistule anale. Le royal sujet est un patient délicat, et l'on se doit de faire preuve d'un minimum de prudence ! On essaye divers onguents, diverses eaux thermales, sans succès. Tout comme le fit jadis Ambroise Paré pour tenter de sauver Henri II, le chirurgien barbier royal Charles-François Félix teste des opérations chirurgicales sur des malades des hospices parisiens. Puis, le 18 novembre au matin, décision est prise d'opérer pour de bon Louis XIV. Dans la chambre même du roi, sous les yeux notamment de Madame de Maintenon (la secrète épouse), et du sieur de Louvois (le puissant ministre de la guerre), Charles-François Félix opère le royal anus[1].
La convalescence est longue, et Félix doit réintervenir plusieurs fois au mois de décembre, et jusqu'en janvier 1687, avant que le roi ne commence à se remettre sérieusement de ces désagréments. La Cour et les parisiens sont très informés, et chacun présente ses vœux de bon rétablissement au roi.
Alors que Louis XIV commence à se sentir un peu mieux et peut reprendre quelque activité officielle, il se rend en visite à la Maison royale de Saint-Louis, située à Saint-Cyr[2], à quelques lieues de Versailles. A cette occasion, et pour soutenir la difficile épreuve que traverse le roi, Madame de Brinon, religieuse supérieure et co-fondatrice de l'établissement, a écrit un petit motet que le surintendant de la musique Jean-Baptiste Lully a fort obligeamment mis en musique :
Grand Dieu, vengez le Roi !
Vive le Roi !
Qu'à jamais glorieux,
Louis victorieux
Voye ses ennemis
Toujours soumis !
Grand Dieu, sauvez le Roi !
Grand Dieu, vengez le Roi !
Vive le Roi !
God save the Queen
En 1714, alors que Louis XIV règne depuis 71 ans (il mourra l'année suivante), et que ses mésaventures de fistule anale sont une vieille histoire, le compositeur allemand Georges Frédéric Haendel est en voyage à Paris. Tandis qu'il visite la Maison royale de Saint-Louis, il obtient la permission de recopier l'air et les paroles de la chanson qui fut écrite presque 30 ans plutôt pour soulager Louis XIV dans sa douloureuse épreuve. Rentré en Angleterre, Haendel traduit les paroles, et offre l'oeuvre au roi Georges Ier en s'en appropriant la paternité :
Long live our noble King,
God save the King !
Send him victorious,
Happy and glorious,
Long to reign over us,
God save the King !
Ainsi apparaît l'hymne britannique, descendant direct de la fistule anale de Louis XIV…
1. Les chroniques rapportent que Louis XIV n'a pas bronché, ce qui paraît bien improbable étant donné le caractère très certainement atrocement douloureux de l'opération…
2. Cette institution avait pour vocation d'éduquer gratuitement environ 3000 jeunes filles de petite aristocratie : Madame de Maintenon s'était beaucoup investie dans sa création, qui était officielle depuis juillet 1686. Les « Demoiselles de Saint-Cyr » cessèrent d'être ainsi formées en 1793, avec la disparition de l'établissement.